Professeur Claude
Huriet, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique, professeur agrégé de médecine, président de l'Institut Curie depuis 2001, Le Monde, 13 mars 2013
Adoptée par le Sénat le 4
décembre 2012, la proposition de loi "autorisant sous certaines conditions
la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires" incite à s'interroger
sur les motifs qui justifient cet ajout à la loi relative à la bioéthique
adoptée par le Parlement voici dix-sept mois. La motivation est-elle fondée sur
des considérations médicales et scientifiques liées aux découvertes récentes,
ou à une opportunité politique ?
La lecture de l'exposé
des motifs est sans ambiguïté : la proposition de loi est un texte passéiste.
Elle ne se réfère ni aux progrès extraordinaires concernant les cellules
souches adultes ou induites et leurs possibles applications thérapeutiques, ni
à la vitrification des ovocytes, qui va enfin mettre un terme à la production d'embryons
humains surnuméraires. Ces découvertes fondamentales ne sont même pas
mentionnées. Ce qui est en jeu, c'est la suppression pure et simple de
l'interdiction de la recherche sur l'embryon humain, c'est le dernier épisode
en date de la longue histoire des lois de bioéthique françaises qui, depuis
1994, a vu, en fonction des évolutions politiques et non des progrès
techniques, l'utilisation de l'embryon humain autorisée, puis interdite,
interdite avec dérogation et, aujourd'hui, autorisée !
Or, les fondements sur
lesquels s'appuie cette proposition de loi sont fallacieux et
"intempestifs", c'est-à-dire dépassés par les progrès récents. Qu'on
en juge : J. A. Thomson, qui, en 1998, auditionné par le Sénat américain, avait
entrevu les utilisations thérapeutiques des cellules souches embryonnaires
humaines, mais abandonne cette voie dès 2002. Il conclut en effet que ces
dernières ne pourront vraisemblablement jamais être utilisées pour traiter des
patients. D'ailleurs, en quinze ans, aucun patient n'a été traité par des
cellules souches embryonnaires. Comment peut-on faire référence, dans un débat
parlementaire sérieux, à "des résultats scientifiques importants",
affirmer que "la recherche sur les souches embryonnaires est porteuse
d'espoir" et que "les résultats obtenus depuis treize ans dans le
monde et depuis six ans en France sont très encourageants" ?
La proposition de loi
énonce que "la recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une
finalité médicale". Si tel est l'objet essentiel de la proposition, la
finalité médicale ne peut s'inscrire désormais, à l'exclusion de l'utilisation
des cellules embryonnaires, que dans le champ des découvertes récentes
concernant les cellules souches adultes, et plus récemment les cellules
pluripotentes induites (iPS).
Dès 1991, les travaux de
Marie-Louise Labat (CNRS) et de son équipe, publiés dans des revues
internationales, montraient la présence dans le sang d'une cellule souche
capable de former différents tissus, vraisemblablement pluripotente. Récemment,
en France également, l'équipe du professeur Luc Douay (hôpital Saint-Antoine,
université Pierre-et-Marie-Curie) obtient des globules rouges à partir de
cellules souches de sang de cordon ou de moelle osseuse, qui offrent d'aussi
riches possibilités que les cellules souches embryonnaires. C'est une première
mondiale qui montre que les contraintes de la loi française n'ont pas exclu de
la compétition internationale tous les chercheurs français !
Mais c'est surtout par
rapport aux travaux du professeur Yamanaka, entrepris en 2006, couronnés par le
prix Nobel le 8 octobre 2012, que la proposition de loi apparaît comme tout à
fait déconnectée... La reprogrammation de cellules sanguines ou cutanées en
cellules semblables à des cellules souches embryonnaires donne à ces dernières
un "coup de vieux" ! Cette possibilité est longtemps apparue
utopique. Elle est maintenant une réalité qui fait d'ores et déjà l'objet de
protocoles d'essais cliniques... et de nombreuses publications. Plus de vingt
lignées ont été obtenues et un institut, l'iPS Core, créé à Harvard, leur est
consacré, dont la banque sera libre d'accès. Les pathologies concernées sont la
maladie de Parkinson, le diabète, la maladie de Huntington, la trisomie, la
maladie de Gaucher, la dystrophie de Duchenne, etc.
(…)
Il ne sera pas sans
intérêt d'observer les conditions dans lesquelles l'Assemblée nationale se
prononcera sur le texte. (…) La liberté de vote sera-t-elle demandée et obtenue
ou, la solidarité de la majorité l'emportant sur toute autre considération,
cette loi "inutile et intempestive" fera-t-elle finalement l'objet
d'un vote majoritaire ?