jeudi 4 juillet 2013

"Cette loi inutile et intempestive"

Professeur Claude Huriet, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique, professeur agrégé de médecine, président de l'Institut Curie depuis 2001, Le Monde, 13 mars 2013

Adoptée par le Sénat le 4 décembre 2012, la proposition de loi "autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires" incite à s'interroger sur les motifs qui justifient cet ajout à la loi relative à la bioéthique adoptée par le Parlement voici dix-sept mois. La motivation est-elle fondée sur des considérations médicales et scientifiques liées aux découvertes récentes, ou à une opportunité politique ?


La lecture de l'exposé des motifs est sans ambiguïté : la proposition de loi est un texte passéiste. Elle ne se réfère ni aux progrès extraordinaires concernant les cellules souches adultes ou induites et leurs possibles applications thérapeutiques, ni à la vitrification des ovocytes, qui va enfin mettre un terme à la production d'embryons humains surnuméraires. Ces découvertes fondamentales ne sont même pas mentionnées. Ce qui est en jeu, c'est la suppression pure et simple de l'interdiction de la recherche sur l'embryon humain, c'est le dernier épisode en date de la longue histoire des lois de bioéthique françaises qui, depuis 1994, a vu, en fonction des évolutions politiques et non des progrès techniques, l'utilisation de l'embryon humain autorisée, puis interdite, interdite avec dérogation et, aujourd'hui, autorisée !
Or, les fondements sur lesquels s'appuie cette proposition de loi sont fallacieux et "intempestifs", c'est-à-dire dépassés par les progrès récents. Qu'on en juge : J. A. Thomson, qui, en 1998, auditionné par le Sénat américain, avait entrevu les utilisations thérapeutiques des cellules souches embryonnaires humaines, mais abandonne cette voie dès 2002. Il conclut en effet que ces dernières ne pourront vraisemblablement jamais être utilisées pour traiter des patients. D'ailleurs, en quinze ans, aucun patient n'a été traité par des cellules souches embryonnaires. Comment peut-on faire référence, dans un débat parlementaire sérieux, à "des résultats scientifiques importants", affirmer que "la recherche sur les souches embryonnaires est porteuse d'espoir" et que "les résultats obtenus depuis treize ans dans le monde et depuis six ans en France sont très encourageants" ?
La proposition de loi énonce que "la recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale". Si tel est l'objet essentiel de la proposition, la finalité médicale ne peut s'inscrire désormais, à l'exclusion de l'utilisation des cellules embryonnaires, que dans le champ des découvertes récentes concernant les cellules souches adultes, et plus récemment les cellules pluripotentes induites (iPS).
Dès 1991, les travaux de Marie-Louise Labat (CNRS) et de son équipe, publiés dans des revues internationales, montraient la présence dans le sang d'une cellule souche capable de former différents tissus, vraisemblablement pluripotente. Récemment, en France également, l'équipe du professeur Luc Douay (hôpital Saint-Antoine, université Pierre-et-Marie-Curie) obtient des globules rouges à partir de cellules souches de sang de cordon ou de moelle osseuse, qui offrent d'aussi riches possibilités que les cellules souches embryonnaires. C'est une première mondiale qui montre que les contraintes de la loi française n'ont pas exclu de la compétition internationale tous les chercheurs français !
Mais c'est surtout par rapport aux travaux du professeur Yamanaka, entrepris en 2006, couronnés par le prix Nobel le 8 octobre 2012, que la proposition de loi apparaît comme tout à fait déconnectée... La reprogrammation de cellules sanguines ou cutanées en cellules semblables à des cellules souches embryonnaires donne à ces dernières un "coup de vieux" ! Cette possibilité est longtemps apparue utopique. Elle est maintenant une réalité qui fait d'ores et déjà l'objet de protocoles d'essais cliniques... et de nombreuses publications. Plus de vingt lignées ont été obtenues et un institut, l'iPS Core, créé à Harvard, leur est consacré, dont la banque sera libre d'accès. Les pathologies concernées sont la maladie de Parkinson, le diabète, la maladie de Huntington, la trisomie, la maladie de Gaucher, la dystrophie de Duchenne, etc.
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Il ne sera pas sans intérêt d'observer les conditions dans lesquelles l'Assemblée nationale se prononcera sur le texte. (…) La liberté de vote sera-t-elle demandée et obtenue ou, la solidarité de la majorité l'emportant sur toute autre considération, cette loi "inutile et intempestive" fera-t-elle finalement l'objet d'un vote majoritaire ?