Avec le développement de la procréation médicalement assistée (PMA), la pratique du diagnostic préimplantatoire s’est généralisée et la demande des chercheurs à pouvoir utiliser pour l’expérimentation une partie des embryons créés in vitro n’a cessé de croître. En effet, dès le 6 novembre 1998, James Thomson et ses collaborateurs publiaient un article dans la revue Science annonçant qu’ils avaient réussi l’extraction et la mise en culture des cellules souches humaines embryonnaires. Doit-on encore parler d’embryon avant l’implantation dans l’utérus ?
(…)
Les arguments s’opposant à la personnalisation
de l’embryon préimplantatoire sont fondés sur la critique de son individualité
; et cette critique s’appuie sur la prétendue autonomie des cellules composant
l’embryon les premiers jours suivant la fécondation.
Qu’en est-il ? Que nous enseignent les sciences
biologiques ?
Je retiendrai cinq constats aujourd’hui bien
établis.
1. Lors de la pénétration de l’ovule par le
spermatozoïde, il se produit deux séries successives de réactions : une
inversion de la polarité électrique de la membrane ovulaire et une libération
de granulations sous-corticales qui inactivent les récepteurs spermatiques.
Conséquence : non seulement le zygote devient réfractaire à la pénétration de
tout autre spermatozoïde, mais, ainsi verrouillé, il constitue une identité
totalement nouvelle.
2. Le contact entre les différentes cellules
composant l’embryon commence dès le stade deux blastomères où on observe des
ponts entre cytoplasmes. Ce contact ne va cesser de s’accroître. Malgré la
totipotentialité de ses cellules, l’embryon se différencie très précocement :
entre le troisième et le quatrième cycle de division. De plus, un phénomène de
compaction a pour effet d’augmenter les surfaces de contact entre cellules et
donc d’accroître les possibilités d’échange intercellulaires d’ions et de
molécules.
3. Par la fécondation, le zygote est constitué
d’un génome (les chromosomes) original et complet. D’emblée opérationnel, il
déploie ses activités immédiatement, pleinement, et continûment jusqu’à la
mort, sans nouvel apport génétique. Les sciences nous montrent donc que, dès la
conception, l’embryon n’est pas seulement une réalité en puissance, mais
constitue une individualité distincte de toute autre, unique et dynamique.
4. Pendant longtemps, en génétique moléculaire
a régné le postulat du « tout génétique » : le génome du zygote est très
rapidement activé dans son ensemble ; les cellules qui composent l’embryon
préimplantatoire possédant le même message génétique, se multiplient de manière
uniforme jusqu’à ce qu’intervienne la différentiation ; cette perspective
exclusivement génétique favorise donc l’identification de l’embryon avec une
masse indifférenciée de cellules.
Or, l’on sait aujourd’hui que la clef du
développement embryonnaire réside non dans les gènes mais dans une régulation
venant de mécanismes non génétiques, pour cela qualifiés d’épigénétiques
(produisant en particulier la méthylation et la déméthylation de l’ADN, qui est
la molécule porteuse de notre information génétique). Et la régulation
épigénétique fait appel non pas à
la séquence de l’ADN, donc à la cellule isolée, mais à l’organisme entier, donc
au tout qu’est l’embryon préimplantatoire, lui-même en connexion avec son
environnement : l’on sait que le nouvel individu humain est en relation avec sa
mère, au point que l’on parle de « dialogue fœto-maternel ».
5. Lors de la fécondation, les génomes mâle et
femelle qui se fusionnent dans le zygote (l’œuf fécondé) sont
transcriptionnellement inactifs ; l’embryon emploie les composants maternels de
l’ovocyte pour commencer son développement. Puis, à l’étape 4-8 cellules chez
l’homme, s’opère l’activation du génome du zygote, ce qu’on appelle la «
transition mère-zygote ». Autrement dit, très tôt, au stade préimplantatoire,
l’embryon prend le contrôle de son développement et l’oriente.
Ces différentes données scientifiques plaident
toutes en faveur d’une forte individualité de l’embryon dès après la
fécondation.
Pour la philosophie, qu’est-ce qu’une personne
humaine ?
Si capitales soient ces données, il
n’appartient pas aux sciences de répondre à la question posée, car il n’est pas
de leur compétence, mais de celle de la philosophie, de dire ce qu’est une
personne humaine. Retenons une définition de bon sens : la personne est un
individu humain, un individu appartenant à la nature humaine.
Nous venons de voir que le zygote, puis
l’embryon préimplantatoire, est un individu autonome, contrôlant son dynamisme
de croissance.
Ajoutons un élément dépassant ce stade primitif
et englobant tout le développement embryonnaire : celui-ci est un processus
continu (c’est une succession ininterrompue d’événements reliés l’un à l’autre
sans nulle rupture) et graduel (c’est un passage de formes simples à des formes
toujours plus complexes). Entre la conception et la mort, il ne se produit
aucun changement radical au sein du vivant humain. Les dénominations visant
à différencier des étapes au sein
de cet unique processus peuvent être pédagogiques, mais sont illégitimes si
elles visent à séparer un stade humain d’un prétendu stade non-humain (par
exemple en parlant de pré-embryon).
Par ailleurs, ce zygote est bien de nature
humaine. Il est le fruit de deux gamètes (ovule et spermatozoïde) humains. De
plus, il possède toutes les caractéristiques, par exemple, génétiques, communes
à tous les individus humains.
Par conséquent, cet individu humain, comment ne
serait-il pas une personne humaine ?