samedi 6 juillet 2013

L’embryon est-il une personne humaine ?

Pascal Ide, Docteur en médecine, en philosophie et en théologie

Avec le développement de la procréation médicalement assistée (PMA), la pratique du diagnostic préimplantatoire s’est généralisée et la demande des chercheurs à pouvoir utiliser pour l’expérimentation une partie des embryons créés in vitro n’a cessé de croître. En effet, dès le 6 novembre 1998, James Thomson et ses collaborateurs publiaient un article dans la revue Science annonçant qu’ils avaient réussi l’extraction et la mise en culture des cellules souches humaines embryonnaires. Doit-on encore parler d’embryon avant l’implantation dans l’utérus ?

(…)
Les arguments s’opposant à la personnalisation de l’embryon préimplantatoire sont fondés sur la critique de son individualité ; et cette critique s’appuie sur la prétendue autonomie des cellules composant l’embryon les premiers jours suivant la fécondation.

Qu’en est-il ? Que nous enseignent les sciences biologiques ?

Je retiendrai cinq constats aujourd’hui bien établis.

1. Lors de la pénétration de l’ovule par le spermatozoïde, il se produit deux séries successives de réactions : une inversion de la polarité électrique de la membrane ovulaire et une libération de granulations sous-corticales qui inactivent les récepteurs spermatiques. Conséquence : non seulement le zygote devient réfractaire à la pénétration de tout autre spermatozoïde, mais, ainsi verrouillé, il constitue une identité totalement nouvelle.

2. Le contact entre les différentes cellules composant l’embryon commence dès le stade deux blastomères où on observe des ponts entre cytoplasmes. Ce contact ne va cesser de s’accroître. Malgré la totipotentialité de ses cellules, l’embryon se différencie très précocement : entre le troisième et le quatrième cycle de division. De plus, un phénomène de compaction a pour effet d’augmenter les surfaces de contact entre cellules et donc d’accroître les possibilités d’échange intercellulaires d’ions et de molécules.

3. Par la fécondation, le zygote est constitué d’un génome (les chromosomes) original et complet. D’emblée opérationnel, il déploie ses activités immédiatement, pleinement, et continûment jusqu’à la mort, sans nouvel apport génétique. Les sciences nous montrent donc que, dès la conception, l’embryon n’est pas seulement une réalité en puissance, mais constitue une individualité distincte de toute autre, unique et dynamique.

4. Pendant longtemps, en génétique moléculaire a régné le postulat du « tout génétique » : le génome du zygote est très rapidement activé dans son ensemble ; les cellules qui composent l’embryon préimplantatoire possédant le même message génétique, se multiplient de manière uniforme jusqu’à ce qu’intervienne la différentiation ; cette perspective exclusivement génétique favorise donc l’identification de l’embryon avec une masse indifférenciée de cellules.

Or, l’on sait aujourd’hui que la clef du développement embryonnaire réside non dans les gènes mais dans une régulation venant de mécanismes non génétiques, pour cela qualifiés d’épigénétiques (produisant en particulier la méthylation et la déméthylation de l’ADN, qui est la molécule porteuse de notre information génétique). Et la régulation épigénétique fait appel non pas  à la séquence de l’ADN, donc à la cellule isolée, mais à l’organisme entier, donc au tout qu’est l’embryon préimplantatoire, lui-même en connexion avec son environnement : l’on sait que le nouvel individu humain est en relation avec sa mère, au point que l’on parle de « dialogue fœto-maternel ».

5. Lors de la fécondation, les génomes mâle et femelle qui se fusionnent dans le zygote (l’œuf fécondé) sont transcriptionnellement inactifs ; l’embryon emploie les composants maternels de l’ovocyte pour commencer son développement. Puis, à l’étape 4-8 cellules chez l’homme, s’opère l’activation du génome du zygote, ce qu’on appelle la « transition mère-zygote ». Autrement dit, très tôt, au stade préimplantatoire, l’embryon prend le contrôle de son développement et l’oriente.

Ces différentes données scientifiques plaident toutes en faveur d’une forte individualité de l’embryon dès après la fécondation.
Pour la philosophie, qu’est-ce qu’une personne humaine ?

Si capitales soient ces données, il n’appartient pas aux sciences de répondre à la question posée, car il n’est pas de leur compétence, mais de celle de la philosophie, de dire ce qu’est une personne humaine. Retenons une définition de bon sens : la personne est un individu humain, un individu appartenant à la nature humaine.

Nous venons de voir que le zygote, puis l’embryon préimplantatoire, est un individu autonome, contrôlant son dynamisme de croissance.

Ajoutons un élément dépassant ce stade primitif et englobant tout le développement embryonnaire : celui-ci est un processus continu (c’est une succession ininterrompue d’événements reliés l’un à l’autre sans nulle rupture) et graduel (c’est un passage de formes simples à des formes toujours plus complexes). Entre la conception et la mort, il ne se produit aucun changement radical au sein du vivant humain. Les dénominations visant à  différencier des étapes au sein de cet unique processus peuvent être pédagogiques, mais sont illégitimes si elles visent à séparer un stade humain d’un prétendu stade non-humain (par exemple en parlant de pré-embryon).

Par ailleurs, ce zygote est bien de nature humaine. Il est le fruit de deux gamètes (ovule et spermatozoïde) humains. De plus, il possède toutes les caractéristiques, par exemple, génétiques, communes à tous les individus humains.

Par conséquent, cet individu humain, comment ne serait-il pas une personne humaine ?